La France a été l’un des principaux colonisateurs de l’Afrique, constituant un vaste « pré carré » comprenant plus d’une quinzaine de pays africains parmi la cinquantaine que compte le continent. Au lendemain des indépendances, sous l’initiative du Niger, la France a tissé une nouvelle relation avec ses anciennes colonies africaines, formalisée sous l’appellation officielle de « Sommet France-Afrique. » La première rencontre de ce sommet s’est tenue le 1er novembre 1973 en France, co-présidée par les présidents Georges Pompidou pour la France et Hamani Diori pour le Niger. Cette rencontre a vu la participation de dix pays africains, dont la Côte d’Ivoire, le Dahomey (aujourd’hui Bénin), la République Centrafricaine, le Gabon, le Togo, le Mali, la Haute-Volta (aujourd’hui Burkina Faso), le Niger, le Congo-Brazzaville et le Sénégal.
Au fil des années, le sommet a élargi son cercle de participants, et cette augmentation s’est reflétée dans de nombreux accords entre la France et les pays africains. Cependant, le sommet a montré des limites et des manquements, entraînant progressivement une critique croissante. Après 44 ans d’existence (1973-2017) et 27 sommets tenus alternativement en France et en Afrique, l’expression « Françafrique » est devenue un symbole de connivence étouffante, accusée par les peuples africains et les oppositions nationales et nationalistes de perpétuer une soumission institutionnelle et d’asphyxier les aspirations d’autonomie. Cette perception a suscité des critiques des accords bilatéraux, surtout en Afrique subsaharienne, où la France jouissait d’une influence significative dans les domaines économiques, monétaire, diplomatique et militaire.
L’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en mai 2017 a semblé amorcer un changement. Le président a prôné, dans son discours de Ouagadougou, le 28 novembre 2017 un renouveau, affirmant sa volonté d’en finir avec une France paternaliste pour placer la jeunesse africaine au cœur d’une nouvelle relation. Le président a exprimé sa volonté de redéfinir la politique de la France en Afrique. Cette approche inclusive intégrait des aspects culturels, sécuritaires, politiques et économiques, mettant la jeunesse au cœur de ces perspectives. Et pourtant, ce renouvellement prend des allures de bal masqué. Le 8 octobre 2021, à Montpellier, le président Macron tente un coup audacieux et fort apprécié par la société civile : un sommet rebaptisé » Le nouveau Sommet Afrique – France » sans les chefs d’États africains, préférant dialoguer avec des représentants de la société civile triés sur le volet. Cette rencontre a créé une effervescence, mais au-delà des dénonciations et des victimisations exprimées au chef de l’état français, qu’en reste-t-il en 2024 quel bilan ferons-nous en 2026 ?
Ce nouveau format est apparu à un moment de bouleversements géopolitiques en Afrique, où des défis tels que la mauvaise gouvernance, les attaques terroristes dans les pays du « pré carré » français et les coups d’État, dénoncés par la communauté internationale mais soutenus par la population, ont contribué à réduire l’influence française en Afrique francophone.
Alors que le président Macron achèvera son second mandat en mai 2027, le prochain sommet Afrique-France, prévu pour le premier trimestre de 2026 à Nairobi, au Kenya, pourrait être une opportunité unique de transformation. À l’heure où la politique française fait face à la montée des idées d’extrême droite et où la jeunesse africaine se mobilise pour une voix plus autonome, on peut se demander si le sommet de 2026 ne représente pas un sommet de la dernière chance ? Ou bien un énième rendez-vous manqué, une de plus de ces promesses enterrées sous les décombres d’un multilatéralisme périmé ?.
Dans un monde en pleine mutation, la tentation du protectionnisme s’intensifie, alors même que le multilatéralisme s’impose comme le langage de l’époque. L’Afrique, observée et courtisée par des puissances émergentes comme la Chine, la Russie et l’Inde, n’est plus ce jeune continent naïf. Elle regarde au-delà de la France, de l’Europe, explorant des partenariats alternatifs, prenant soin de redéfinir sa propre voie sur l’échiquier mondial. La France, si elle espère conserver une place de choix, doit se réinventer, reconnaître l’Afrique non plus comme un bloc, mais comme une constellation de pays souverains aux besoins distincts et aux aspirations diverses.
Dans ce contexte, une approche exclusivement économique pourrait constituer la base d’une relation renouvelée entre la France et l’Afrique. Bien que composée de jeunes nations, l’Afrique n’a plus un regard centré comme autrefois. Son regard est devenu panoramique, analysant à la fois : La position de la Chine ; Le choix des américaines; Les actions des russes; Les réactions de l’Union Européenne et les propositions de japonais, canadiens et d’autres grandes puissances. Sans renoncer ou trahir ses valeurs , la France doit faire preuve d’agilité dans sa relation avec l’Afrique, en considérant les spécificités et aspirations de chaque région du continent.
Le choix du Kenya, figure d’un continent tourné vers l’avenir, est à la fois audacieux et judicieux. En s’ancrant sur ce territoire à l’influence anglo-saxonne, le nouveau sommet Afrique – France pourrait poser les fondations d’une nouvelle relation, axée sur le respect mutuel, le partenariat gagnant-gagnant et l’échange authentique de savoir. L’Afrique détient aujourd’hui des ressources humaines et naturelles inestimables ; la France, elle, détentrice d’une bourse, est riche d’un savoir-faire technologique qui pourrait trouver là une chance de renouveau. Face aux défis d’une mondialisation qui érode son tissu industriel, la France doit faire de l’Afrique un partenaire économique à part entière et prestigieux.
Alors que le spectre de la désindustrialisation menace son modèle économique, la France pourrait trouver, dans une coopération sincère avec l’Afrique, une solution d’avenir. Sur un plan européen, la France peut être la locomotive de l’Europe en Afrique. Le temps des demi-mesures et des velléités est révolu ( reconnu par le Président Emmanuel Macron lui-même) ; ce qui se jouera à Nairobi, en 2026, pourrait bien décider de la place de la France sur le continent africain, mais aussi dans le monde de demain. Vivement Kenya 2026.
Par M. Gabriel MVOGO SAINT, Président du Système Européen de Coopération